QUEL AVENIR POUR LES CHAUFFEURS?

Les transports, au Québec, c’est près de 9% de sa main-d’oeuvre totale- c’est-à-dire quelque 300 000 personnes (selon Transports Québec) si on intègre à ce nombre tous les emplois connexes qui gravitent autour dont 155 000 emplois directement en transport et entreposage – ce qui représente

11,4 milliards de dollars en activités économiques pour cette dernière catégorie seulement. Sa contribution au PIB – Produit intérieur brut ou, si vous préférez, la richesse économique totale produite sur un territoire délimité pour une année fiscale précise – est de 4,3%, ce qui est loin d’être négligeable vous en conviendrez avec moi.

«Pourtant, dit-on chez Camo-Route dans son plan annuel 2010-2011, le métier de chauffeur n’est pas reconnu à sa juste valeur, peu valorisé et mal connu». Par qui? Les 35 000 entreprises qui forment le noyau de cette industrie, les institutions publiques et/ou le public en général?

La nature économique de cette industrie est largement tributaire des aléas des secteurs manufacturier, commercial et industriel, ce qui force régulièrement les employeurs à engager des surnuméraires ou des indépendants afin de servir leur clientèle flottante lorsque la croissance est au rendez-vous, et qui tend par le fait même à se délester d’une partie d’entre eux en période de contraction. Ce qui est le cas depuis deux ou trois ans en Amérique du Nord et qui crée une zone de flottement importante et d’instabilité parmi les salariés et autres indépendants.

Statistiques Canada arrive d’ailleurs à cette conclusion dans une étude rendue publique en mars 2009. En effet, près de 60% des chauffeurs oeuvrent à temps plein pour un salaire moyen légèrement inférieur à 40 000$ annuellement (sans compter le temps supplémentaire). Ce qui laisse 40% d’entre eux – parce que les femmes ne forment que 4% du contingent dit encore Statistiques Canada – avec des emplois précaires la plupart du temps.

Si certains de ces 40% font du camionnage leur seconde passion professionnelle, d’autres sont les victimes d’horaires et de contrats irréguliers. Une des conséquences directes d’un tel phénomène est le taux de roulement annuel anormalement élevé pour une industrie en pénurie: 35%.

Un métier difficile?

Ce taux de roulement peut être interne et impliquer une promotion, un changement d’employeur ou une réorientation de carrière. Les motivations qui sous-tendent ce mouvement sont nombreuses: un plan de carrière ambitieux, un désir d’améliorer son sort en travaillant pour un employeur plus attrayant, financièrement plus stable et professionnel, avoir plus d’heures et des routes généralement mieux adaptées à ses besoins, un manque de professionnalisme mais aussi le désir d’occuper un poste où l’itinérance et les problèmes de santé sont absents (mal de dos, stress, etc.).

Évidemment, la nature du camionnage sera toujours la même: transporter à bon port et de façon sécuritaire des marchandises sur des routes plus ou moins longues, dans des conditions allant du plus facile au plus difficile pendant de longues heures consécutives.

Est-ce plus difficile qu’un autre métier? «Si les chauffeurs qui font de l’interurbain sont éloignées de leur famille sur de longues périodes de temps, ils ont l’avantage de voyager en travaillant, nous dit Marc-André Leroux de chez Normandin Transit, un transporteur public haut de gamme basé à Napierville dont le territoire d’exploitation à l’Amérique du Nord.

Ce chauffeur passionné de son métier, «et de son camion qu’il chérit comme la prunelle de ses yeux», ajoute, espiègle, son collègue et ami, l’ex-camionneur devenu gestionnaire de carburant et formateur pour Normandin Transit, Dave Rioux.

Pour ces deux passionnés ayant le camionnage – et les «trucks» dans la peau – «il faut d’abord aimer conduire, être capable d’apprivoiser la solitude, avoir le sens des responsabilités et préférer l’absence de routine afin que la carrière soit agréable et stimulante».

Cette absence de routine se traduit notamment par de longues heures de travail et  l’imposition du «Just in Time», cette «invention» japonaise promettant une livraison  aux clients à une date de livraison précise. Mais est-ce que ces contingences sont les seuls responsables d’une très relative popularité du métier de camionneur ou, au contraire, faisons-nous face à l’ignorance, à une perception erronée, au manque de flexibilité de plusieurs gestionnaires face aux nouvelles réalités du camionnage et à l’indifférence relative de certains de nos leaders publics et privés quant au recrutement, à la formation, à la valorisation et le taux de rétention de ce métier?

Formation, technologie et conditions de travail

À l’orée d’une reprise économique prometteuse et d’une demande accrue pour des camionneurs compétents, bien formés et consciencieux, est-il possible d’attirer une nouvelle génération de routiers passionnés, dédiés et compétents? Et quels sont les arguments requis pour contribuer à les attirer dans le sillon du camionnage?

Par exemple, la récente crise économique a vu une baisse générale des activités économiques de l’ordre de 20% dans l’industrie du transport de marchandises. Ce ralentissement significatif a provoqué des mises à pied de chauffeurs compétents et formés à fort prix, notamment. Avec la reprise anticipée, les retraites massives, l’absence marquée de relève et d’une réelle inquiétude de voir partir une main-d’oeuvre qualifiée vers de nouveaux secteurs économiques, il est à prévoir un  important manque à gagner en productivité qui ne peut, à ce ce moment-ci, être quantifié avec précision par les autorités publiques ou associatives.

Malgré tout, la pénurie en main-d’oeuvre est et sera une réalité objective et potentiellement néfaste pour la croissance économique dans les années à venir. Il faut conséquemment, et dès maintenant, trouver des moyens novateurs afin d’attirer plus de gens vers le camionnage?

Formation

Ce qui peut être dit, cependant, est de trois ordres. D’abord l’entreprise dont les besoins imposent l’engagement rapide de main-d’oeuvre à des fins de productivité ne peut pas toujours attendre que soit complétée la formation académique dans les écoles spécialisées.

Il engagera, au besoin, du personnel possédant une classe 1 et l’âge minimal requis – généralement 21 ans – afin de faire rouler son entreprise. Pas nécessairement le type de candidature que l’industrie recherche en termes de maturité, d’expérience, de professionnalisme et de formation.Le strict nécessaire pour faire la job rapidement et faire rouler l’entreprise. Cette réalité, loin d’être idéale, est quand même répandue dans l’industrie pour les raisons évoquées plus haut. La capacité de travailler, sans passer par une formation académique adéquate et complète, peut donner l’impression à la société civile que cette industrie ne fait pas toujours preuve de professionnalisme.

C’est une des raisons pour lesquelles de plus en plus d’entreprises exigent un DEP (Diplôme d’études professionnelles) en transport par camions avant d’engager un routier.

Cette formation, qui se prend en institution scolaire, prend une forme similaire chez Camo-route avec son programme Routier @ 100%, lequel est offert directement en entreprise et tient compte, outre les compétences classiques liées à l’apprentissage de la conduite, la ronde de sécurité etles lois sur la sécurité routière, de certaines réglementations continentales et/ou canadiennes quant à la sécurité des personnes et des charges, des heures travaillées, les limites de vitesse et de charges afin que les normes, standardisées, ne puissent favoriser les entreprises de certaines provinces et/ou États au détriment des autres.

Ce qui nous amène au deuxième point des raisons pour lesquelles il y a pénurie de chauffeurs dans l’industrie: la désaffectation de la relève.

D’après deux passionnés de la route et du camionnage, Marc-André Leroux et Dave Rioux dont on itait précédemment les réflexions, plusieurs facteurs expliquent cette réalité.

«L’ajout de règles – limiteurs de vitesses, contrôles routiers accrus,  contrôle serré des heures de travail (log book), gestion opérationnelle via le cellulaire, «boîtes noires» qui enregistrent les données autrefois indisponibles, etc. – de technologies nombreuses qui tendent à vouloir les contrôler dont les GPS en gestion du temps et des routes, le carburant par des systèmes embarqués limitant la puissance moteur sont tous des éléments qui modifient la nature et les applications de leur travail sont autant de raisons qui ajoutent à la complexité du métier», disent-ils pour xpliquer la nature du métier aujourd’hui.

Les conditions générales du travail Cette évolution du métier en ce qui a trait aux technologies, à la sécurité, à l’éloignement et à a formation semble n’attirer que peu de gens de la relève. Il est surprenant qu’avec l’ajout l’outils technologiques leur permettant d’être en communication constante avec leur famille, leur employeur et leur noyau social, peu de gens décident d’embrasser ce métier unique.

Parmi les raisons évoquées par nos deux amis de chez Normandin Transit quant à la désaffectation du métier, il a été question des horaires atypiques, des salaires et des conditions de travail. Tout en affirmant être particulièrement bien traités par leur employeur, Marc-André et Dave reconnaissent que la situation n’est pas toujours rose chez certains employeurs moins rentables, professionnels ou organisés.

En effet, un faible taux de rétention indique que certains chauffeurs – souvent les moins expérimentés ou cumulant le moins d’ancienneté – se voient imposer des routes et des horaires plus contraignants, et ce pour un salaire moindre… Ce qui les incite à vouloir rapidement changer d’employeur, quitte à aller voir ailleurs dans l’industrie où se trouvent de meilleures conditions.

Mais est-ce différent dans d’autres industries? Les meilleures routes sont souvent réservées aux lus expérimentés, peu importe la nature de l’entreprise ou de l’industrie à l’intérieur de laquelle ils oeuvrent. Il faut faire ses preuves, comme partout ailleurs. En camionnage, les preuves à faire se déclinent de la façon suivante: avoir un dossier de conduite exemplaire, faire preuve d’un souci constant pour le service à la clientèle, posséder une formation académique adéquate – de base et continue – de l’expérience (évidemment) ainsi qu’une attitude responsable, mature, patience et débrouillarde.

«C’est la passion, disent en coeur Dave et Marc-André, qui doit vous «driver» dans la vie. Que ce soit dans le camionnage ou ailleurs, il faut que cette petite flamme brûle à l’intérieur si vous voulez en faire une carrière gratifiante, valorisante et passionnante. Le reste est affaire de travail, persévérance, perfectibilité et maturité», terminent les deux comparses.

Alors, si Québec, Montréal, Toronto, Vancouver, Calgary, Boston, New-York, Miami, Los Angeles, Seattle, San Francisco, Tucson, Dallas et toutes les autres villes nord-américaines vous intéressent, cette vie est faite pour vous. Et vous serez bien payé pour le faire!

L’implication des autorités

De plus en plus conscient des besoins de l’industrie et souvent poussé par l’une ou l’autre des législatures soeurs en Amérique du Nord que plusieurs camionneurs doivent traverser un jour ou l’autre, le gouvernement du Québec est un joueur  plus proactif qu’avant quant à l’avenir

économique et sécuritaire de l’industrie du camionnage québécois. La pénurie anticipée de main-d’oeuvre, la sécurité routière, la préservation de la concurrence locale, même si elles ne relèvent pas entièrement de ses responsabilités, forcent les autorités publiques à s’impliquer dans différents aspects de la dynamique du transport.

Et outre les questions sécuritaires qui relèvent directement de ses prérogatives – via le ministère des Transports du Québec, la Commission des transports du Québec et la Société d’assurance automobile du Québec – le gouvernement québécois cherche des moyens novateurs afin de contribuer à rehausser les compétences, la crédibilité et l’image des chauffeurs de poids lourds.

La nouvelle Politique d’évaluation des conducteurs de véhicules lourds et le Programme d’excellence des conducteurs de véhicules lourds reflètent cette tendance lourde au Québec à vouloir mieux encadrer et valoriser ce métier si important pour l’économie du Québec. Parce que l’avenir du routier à succès se conjugue dorénavant avec les mots professionnalisme, technologies, gestion moderne des ressources humaines et formation continue. Et pour atteindre ces objectifs, l’industrie devra se mettre à la tâche rapidement…

Saviez-vous que?

Les besoins annuels en camionneurs sont de 2 400 pour la période 2008-2012? Que 1 600 chauffeurs quittent, à chaque année, le métier pour faire autre chose ou prendre leur retraite? Que le taux de croissance de l’emploi pour 2008-2012 est de 1,3% alors qu’il est à 1,1% pour l’ensemble de la profession? Qu’il n’y a que 3,5% de conducteurs âgés entre 15/24 ans en camionnage? Que 12,7% des employés à temps plein gagnent moins de 20 000$ par année alors que 68,1% gagnent entre 20 000$ et 50 000$? Presque un chauffeur sur cinq gagne plus de 50 000$ par année (19,2%)?

 

Source: L’Écho du transport